Cocorico sur le drakkar ! Défilés militaires et mauvaise foi !
Pour avoir osé remettre en cause la présence des chars Leclercq sur les champs Elysées le 14 juillet, Eva Joly a eu droit à un véritable procès en hérésie républicaine. Sorcière !
Et pour le coup, les inquisiteurs auto-proclamés viennent de tous les bords. PS, UMP, FN, etc. À croire qu’en France, on ne touche pas à la sacro-sainte place de l’armée seule protagoniste de notre fête nationale.
Voici pêle-mêle les réactions des docteurs en républicanisme :
François Fillon : « Je réagis avec tristesse. Je pense que cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française. »
Ségolène Royal : « Ce serait une très mauvaise idée que de remettre en cause nos traditions«
Marine Le Pen : « Je ne crois pas qu’il soit légitime de se présenter à la présidence de la République quand on est devenu français tardivement. »
Henri Guaino : « »Je trouve cela pathétique (…) dire ce qu’elle a dit, c’est pour moi profondément une insulte à tous ceux qui depuis des siècles meurent pour ce pays, pour ses valeurs, pour sa liberté«
Jean-Pierre Chevénement : » Ceux qui n’ont pas ce réflexe patriotique élémentaire me laissent sans voix (…) La nature de la France lui échappe sans doute. »
Xénophobie, machisme (cf Fillon : « cette dame »), condescendance, mauvaise foi (tant les commentaires se font autour de la défense de l’armée alors que le sujet est le sens de la fête nationale), l’éventail utilisé et brandi de manière épidermique par la classe politique française dans sa quasi intégralité laisse pantois.
Ainsi ils auraient donc dit la messe, par leurs propos couperets (et ô combien réducteurs) sur la finalité et le sens de la fête nationale.
Pourtant, on est sincèrement en droit de se poser des questions, sur qui en la matière est dans le vrai.
1. L’invocation de la « tradition » pour justifier l’omnipotence de l’armée le jour du 14 juillet est d’une légèreté insensée. D’une certaine manière la féodalité avait ses traditions (le servage, le cuissage, etc.), nos sociétés machistes avaient les leurs. (les femmes ont attendu 1938 pour ne plus être en incapacité civile, etc.) On pourrait également dans ce domaine parler du service militaire. Heureusement que depuis des siècles, des hommes et des femmes remettent en cause des traditions. Et pour pousser la chose un peu plus loin, je dirai que les Français ont pour tradition de remettre en cause leurs traditions.
2. Sur la méconnaissance de l’histoire de France que manifesterait par ses propos Eva Joly, là encore, je suis circonspect. Petits rappels brefs : le 14 juillet célèbre la fête de la Fédération du 14 juillet 1790 qui célébrait la concorde de tout le peuple français et la prise de la Bastille. La Troisième république pour affermir le patriotisme et l’attachement à la République en a fait en 1880 la fête nationale de la France. Je renvoie donc à la nature même de ce qu’a été le 14 juillet 1790 : une fête, où le peuple français venu de tous les coins de ce qui était encore pour un peu plus de deux ans le Royaume, s’est assemblé sur le champ de Mars pour célébrer la Révolution. Et là clairement je pose la question : entre un défilé de l’armée française sur les champs Elysées et un grand concert festif au Champ de Mars (le concert du 14 juillet 2011 de SOS Racisme qui a rassemblé 800 000 personnes), qu’est-ce qui se situe le plus dans l’esprit de notre histoire ?
3. Sur l’insulte qui serait faite aux Français morts dans les différents conflits passés et actuels par les propos d’Eva Joly, disons clairement les choses : il ne faut pas confondre le 14 juillet avec le 8 mai ou le 11 novembre. La fête nationale n’est pas la fête de l’armée, mais celle de tout le peuple français, et je le rappelle de tous les Français (y compris ceux qui le sont depuis 1 jour) et de ceux qui y vivent. Dire cela n’est pas insulter l’armée française, mais rappeler qu’elle est une composante de ce qui fait la France, ni plus ni moins.
Il n’y a rien d’immuable. La question qu’Eva Joly pose est celle du vivre ensemble, de ce qui fait un pays au XXIème siècle. Et ce qui faisait une nation au XIXème, l’armée, n’est assurément plus ce qui en fait une aujourd’hui.